« 4,8 milliards d’euros en moins », titrait BFM TV pour évoquer la perte de recettes des départements liée à une conjoncture immobilière marquée par un ralentissement du marché. Avec toute la nuance que l’on peut attendre de la rédaction de BFM, le chroniqueur économique de la chaîne craignait même une faillite des départements ! Mais quel est le lien entre l’accalmie observée sur le marché immobilier et la dégradation des finances publiques locales? Les droits de mutation.
Pour rappel, ces droits de mutations constituent la principale composante des « frais de notaire » dont doit s’acquitter l’acquéreur d’un bien immobilier. Ils représentent généralement 5% à 6% du prix de vente (à l’exception des logements neufs et des transactions ayant lieu dans les départements appliquant un taux réduit). Or, il se trouve que l’essentiel de ces droits de mutation (près de 80%) est directement alloué au budget des départements et des grandes métropoles (Paris, Lyon, Marseille), et que cette « part départementale » représente pas moins de 15 à 20% des recettes de ces collectivités locales. On comprend mieux comment une variation du nombre et de la valeur des transactions immobilières réalisées sur leur territoire peut avoir une incidence notable sur leur budget!
Après plusieurs années de hausse des recettes liées aux droits de mutation, la métropole de Lyon, par exemple, connaît aujourd’hui une chute brutale de plus de 100 millions d’euros, passant de 435 millions de recettes en 2022, à 331 millions d’euros en 2023 (Sources : DOB 2024), et sans doute moins encore en 2024! Or, 100 millions de budget en moins, c’est autant qui ne pourront pas être consacrés aux politiques publiques de la métropole, y compris à sa politique… de l’habitat.
Sur le fond affecter ces droits de mutations au budget des collectivités territoriales pose au moins deux problèmes. Le premier concerne les territoires les moins « dynamiques », qui disposeront mathématiquement de moins de ressources que les autres. Or, du fait de leurs compétences, notamment en matière d’action sociale, les départements et grandes métropoles ont vocation à jouer un rôle d’amortisseur en mettant en œuvre des politiques contracycliques. On voit alors très bien comment un effet de ciseaux s’opère sur les territoires qui connaissent un ralentissement de leur activité économique. Alors que leurs besoins de financement augmentent, ils ne peuvent que constater la baisse de leurs recettes.
Le second problème, plus insidieux, concerne les collectivités les plus riches. Ces territoires ont vu leurs recettes fiscales augmenter rapidement du fait du dynamisme de leur marché immobilier. Et dans ces conditions, même la spéculation immobilière a pu être vue d’un bon œil… Au point que certaines collectivités peuvent être tentées de l’encourager! Malheureusement, un calcul élémentaire permet de comprendre que si l’on capte 4,5% d’une augmentation, il faut encore amortir 95,5% de la hausse des prix de l’immobilier. Mais à qui revient cette charge ?
Restons donc sur l’exemple de la Métropole de Lyon. Pour réaliser ses différents investissements (logements, collèges, chaufferies, activité productive…) elle doit enregistrer toute la hausse des prix de l’immobilier et du foncier. Ainsi, à la lecture des différentes délibérations, en 2019, l’acquisition d’un immeuble destiné au logement social représentait une dépense d’environ 100 000 euros par logement. Mais, en 2023, compte tenu de l’augmentation des prix, ce montant était passé à 180 000 euros!
Évidemment, la collectivité n’est pas la seule à subir cette hausse des prix, les primo-accédants aussi en pâtissent, et ce d’autant plus qu’une hausse (modérée) des taux d’intérêt a fortement réduit la capacité des ménages à suivre le marché. Par effet de cliquet, les propriétaires immobiliers rechignent le plus souvent à accepter une perte à la revente. Lorsqu’ils en ont la possibilité, ils préfèrent généralement attendre que les prix remontent ou que l’ensemble des prix baissent pour pouvoir réinvestir moins cher ailleurs. Autrement dit, le marché immobilier a la spécificité de s’adapter davantage par la quantité d’offres plutôt que par la baisse des prix, et le résultat c’est que les lyonnais.es peinent de plus en plus à se loger.
Les pouvoirs publics, à qui l’on demande d’intervenir là où le marché est défaillant (c’est-à-dire dans la majorité des cas concernant le logement), se retrouvent alors tiraillés entre des objectifs contradictoires. Faut-il encadrer les loyers pour faciliter l’accès des ménages aux logements en location, au risque de ralentir les ventes et donc de voir les recettes fiscales baisser? Faut-il développer le logement social et faire du BRS (bail réel solidaire) pour limiter l’envolée des prix au risque de voir fondre, durablement, les recettes liées aux droits de mutation? Faut-il encourager les ventes dans l’ancien, ou miser sur la production de logements neufs, qui apportent très peu de droits de mutation?
La métropole de Lyon a axé sa politique de l’habitat sur la construction de logements neufs, tout en encadrant les loyers, et en s’efforçant de développer une offre sociale en BRS grâce à son office foncier solidaire. Nous pouvons féliciter ce choix qui aura des effets positifs sur le long termes. A moyens termes et , dans un contexte national de ralentissement des ventes, il faudra tenir face à la dépendance des finances publiques locales au dynamisme du marché immobilier. D’où ces deux conclusions:
1. A court terme, et parce qu’il est toujours difficile de se libérer brutalement d’une addiction, il semble que les départements et les grandes métropoles ont tout intérêt à favoriser le développement d’une offre de logements abordables sur le territoire, mais dans l’ancien, afin que leurs recettes fiscales restent bonnes. Condition nécessaire à cette stratégie, qu’il s’agisse d’une appropriation des logements par leurs habitants et non du fait d’une hausse incontrôlée des prix, accentuée par des logiques spéculatives et un processus d’accaparement des biens par une poignée de propriétaires privés.
2. A plus long terme, il faut tirer les leçons de cette situation fiscale aussi délicate qu’absurde. Il n’est pas cohérent de financer l’action publique locale en s’appuyant sur l’envolée du prix des logements et sur la spéculation immobilière qui dégrade la situation des habitants. Imaginerait-on financer la lutte contre le cancer du poumon en espérant une augmentation de la consommation de tabac? Faut-il rappeler que lorsque nous parlons de marché immobilier, nous parlons en réalité de la marchandisation du besoin fondamental de se loger. Si nous souhaitons conduire des politiques publiques qui visent à en finir avec les dynamiques d’exclusion, de ségrégation sociale et spatiale, nous ne pouvons imaginer dépendre du marché immobilier. Dans cette optique, il nous semblerait préférable de faire du logement un véritable bien commun, mais encore faut-il en avoir/s’en donner les moyens.
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